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Vendredi 26 mai 1871
La tragédie de la rue Haxo

La Commune
La semaine sanglante

Dans la matinée du 26, le corps d'armée Ladmirault progresse au nord vers la rotonde de la Villette et le canal de l'Ourcq. Au sud, Vinoy avance le long du chemin de fer de Vincennes, afin de prendre de flanc les barricades du faubourg Saint-Antoine.
A l'est, le cordon des troupes allemandes est maintenant tout près des remparts. Elles sont là pour empêcher les derniers fédérés de s'enfuir. Avec le concours de Bismarck, M. Thiers a refermé la nasse.

les derniers membres de la Commune

La pluie, qui s'annonçait depuis le matin, s'est mise à tomber. Les derniers membres de la Commune se sont retirés au 81 de la rue Haxo, dans les locaux qui furent, pendant le siège de Paris, le quartier général du 11e secteur. Il y a là Varlin, qui a pris le poste de délégué à la Guerre après la mort de Delescluze, Ranvier, qui ne fait que de brèves apparitions, car il anime la défense de Belleville, Protot, le délégué à la Justice, Jules Allix, le journaliste réputé « timbré », Georges Arnold, qui croit encore à une ultime médiation prussienne, Frédéric Cournet, Jules Vallès. Ils seront rejoints, dans la journée, par Théophile Ferré.
Il y a également des gardes nationaux et des membres du Comité central, tels qu'Alavoine, un certain colonel Parent, le commandant Louis Piat (que certains confondent avec Félix Pyat), chef du 94e bataillon (IVe arrondissement). C'est la « dernière réunion de ces éternels délibérateurs », ainsi que le dit Lissagaray, et, comme aux plus beaux jours, on s'y querelle ferme, et toujours pour la même raison: la lutte d'influence entre la Commune et le Comité central, ce dernier revendiquant, en ces heures suprêmes, « la dictature ». Ranvier met fin au débat en lançant: « Vous feriez mieux d'aller vous battre.»

Un sinistre cortège

Le 81 de la rue Haxo va être le théâtre d'une des tragédies de cette journée qui en a compté, hélas! tant d'autres. Elle commence à la prison de la Roquette, dans la matinée. L'ex-procureur Genton et un commissaire de police de la Commune, Clavier, y prennent livraison d'un détenu: Jean-Baptiste Jecker. Cet homme a écrit à lui seul une page de l'histoire du Second Empire. Banquier d'origine suisse, il était allé fonder une banque au Mexique. Il y avait acquis d'importantes concessions minières, s'était lancé dans les grandes affaires. En 1859, il faisait une grosse avance au président Juarez. Dans l'impossibilité de se faire rembourser, il venait à Paris intéresser à l'opération le duc de Morny. C'était l'ébauche de la tragique aventure de Charlotte et Maximilien.
Elle fut l'objet de sa dernière conversation. « Ah! dit-il à Clavier qui le conduisait au Père-Lachaise où il allait être abattu, je n'ai pas fait une bonne affaire. Ces gens-là m'ont volé. »
Maintenant, c'est le colonel Émile Gois, de la garde nationale, qui se présente à la Roquette, à la tête d'un petit détachement. Il réclame cinquante otages pour les fusiller. François, le directeur, qui a déjà tergiversé l'avant-veille pour tenter de sauver l'archevêque, réclame un ordre écrit:
« Mon ordre, le voici », répond Gois en posant son revolver sur la table. Et il réclame les gendarmes et gardes de Paris détenus en qualité d'otages. François lui présente les listes. Ils ne sont que trente-six. Le colonel exige alors que l'on complète avec quatre agents de Versailles, Dereste, Largillière, Ruault et Greffe, et avec des prêtres. Sur la liste de ces derniers, il pointe ainsi au hasard les noms de dix ecclésiastiques, les pères jésuites Olivaint, Caubert, de Bengy, les pères de Picpus: Radigue, Tuffier, Rouchouze et Tardieu, les abbés Sabatier et Seigneret, le père Planchat.
Un sinistre cortège se forme alors. Derrière des clairons qui sonnent et une cantinière en uniforme, viennent Gois et le commissaire Clavier, puis les otages, encadrés de gardes nationaux et de civils armés. Un douloureux calvaire commence pour eux. Ils montent la rue de la Roquette, jusqu'au Père-Lachaise, tournent à gauche sur le boulevard de Ménilmontant, puis prennent l'actuelle avenue Gambetta. A chaque barricade, un petit groupe de fédérés se joint au cortège. Ils sont plus de cinq cents gardes nationaux pour escorter les otages au milieu de la foule qui les injurie, leur jette des cailloux et des immondices.

Qu'on les fusille !

mort de Jean-Baptiste Millière pendant la Commune de Paris
Ici, c'est la populace ignoble qui s'est déchaînée. Ailleurs, le massacre continue. Maxime du Camp explique: « Jusque-là, les troupes régulières avaient été très calmes. Les incendies, les atrocités, les cruautés les exaspérèrent et il ne fut plus possible de les modérer. » Les chefs de l'armée ne semblent avoir rien fait pour y parvenir, si l'on en juge par la fin lamentable, ce même vendredi, du député Jean-Baptiste Millière. Cet élu républicain qui siégea à Bordeaux et à Versailles, n'a eu que le tort de demeurer à Paris pendant la Commune, à laquelle il n'a absolument pas participé. Dénoncé en raison de ses opinions républicaines, il est arrêté à son domicile. On vient demander des instructions au général de Cissey, attablé dans un restaurant du Quartier latin. Cissey ne daigne même pas interrompre son repas. Sans même s'informer du cas de l'intéressé, il ordonne avec indifférence: « Qu'on le fusille! », et Millière est exécuté devant le Panthéon.
Au soir du vendredi, dans le réduit fédéré, Gabriel Ranvier a trouvé une imprimerie pour en sortir l'ultime affiche: « Citoyens du XXe, dit-elle, si nous succombons, vous savez quel sort nous est réservé. Aux armes! De la vigilance, surtout la nuit... »
Cette nuit-là, les fédérés ne tiennent plus qu'une étroite zone délimitée par le canal de l'Ourcq, le bassin de la Villette, le boulevard Richard-Lenoir, la rue du Faubourg -Saint-Antoine, et aboutissant à la porte de Vincennes.

Les membres de la Commune essaient de s'interposer

La tragedie de la Rue Haxo pendant la Commune de Paris
Rue Haxo, les membres de la Commune essaient de s'interposer. Jules Vallès tente de prendre la parole. Varlin se jette au milieu de la populace. Alavoine manque d'être abattu par un garde national qui le couche en joue. Ces minutes intenses participent du conte fantastique. En bas de Belleville, la canonnade et la fusillade s'intensifient. Les troupes de Ladmirault avancent. Dans la rue, des combattants refluent en désordre. Et pourtant, on entend, au nord, une étrange musique dont le vent apporte des bouffées. C'est une grosse valse germanique que joue, au pied des remparts, en guise de sérénade aux Parisiens qui vont mourir, de quelque bord qu'ils soient, un orchestre militaire allemand.
Aucun des responsables de la Commune n'a signé l'ordre d'amener rue Haxo ces pauvres gens. Mais aucun d'eux n'a suffisamment d'influence pour empêcher le massacre. Ils sont alignés dans une tranchée creusée à la hâte au pied du mur de la cour. Plus de cent fusils sont braqués sur eux, de gardes nationaux de tous bataillons et de civils mêlés. Les Chassepot tonnent. Cinquante corps s'affaissent. Non: cinquante et un. Car un des assistants qui a osé s'écrier: « C'est ignoble ! » est poussé sur le tas de cadavres et fusillé à son tour.
Le crime est consommé. Les fusilleurs se dispersent, et ce n'est certes pas pour courir aux barricades livrer le dernier combat. Terrés derrière leurs volets, les voisins ont assisté à l'horrible scène. Ils sont terrorisés à la pensée des représailles que vont exercer, demain, les Versaillais. Après la tombée de la nuit, ils vont jeter les corps dans une fosse, creusée pendant le siège, et la recouvrent de planches.
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